L'année 1970 marque un tournant important dans l'histoire du rock : Jim Morrison, Jimi Hendrix et Janis Joplin, autant de symboles d'une liberté artistique totale, disparaissent au faîte de leur gloire. Le rêve des années 1960 est brisé, les illusions perdues, le mouvement hippie s'effrite et le rock va basculer dans une nouvelle dimension, moins spontanée, plus réfléchie.
Les tendances « périphériques » : le rock se fragmente
Sur les cendres du mouvement hippie qui a fédéré l'essentiel de la création musicale et artistique à la fin des années 1960, le rock perd son unité - malgré l'existence de nombreux styles autonomes, le rock a été traversé par l'esthétique psychédélique - et se décline à présent en de multiples sous-genres, autant de véhicules différents d'une musique dont le registre s'étend inexorablement : glam rock extraverti - T. Rex (Electric Warrior, 1971), David Bowie (Hunky Dory, 1972), New York Dolls (New York Dolls, 1973).
Roxy Music (Country Life, 1974) ; rock théâtral - Alice Cooper (Killer, 1971), Queen (A Night at the Opera, 1975).
ou jazz-rock - Miles Davis (Bitches Brew, 1969), Weather Report (Heavy Weather, 1977), Mahavishnu Orchestra (The Inner Mounting Flame, 1971).
Les musiques électroniques en sont à leurs balbutiements, le reggae quitte sa Jamaïque natale grâce au charisme de Bob Marley ( Natty Dread), 1974), le rock « sudiste » (en provenance des États du sud des États-Unis) séduit le public américain en remettant à l'honneur des musiques (country et blues principalement) et des discours traditionnels - The Allman Brothers Band, Lynyrd Skynyrd, etc. -, tandis que le disco connaît son heure de gloire à la fin de la décennie grâce à l'œuvre pionnière de Giorgio Moroder, au Français Patrick Hernandez (qui fait débuter Madonna au début des années 1980), mais également aux Bee Gees. Les genres se côtoient, se transforment, se succèdent les uns aux autres, disparaissent et renaissent : le rock est entré dans l'ère de l'éclatement.
Les individualités du rock : fortes personnalités et " électrons libres "
Si la notion de groupe semble prédominer dans les années 1970 et écraser toute concurrence, des artistes ayant opté pour une démarche solitaire apportent toutefois une vision différente du rock, fondée sur une approche éminemment personnelle. Au-delà de ses excentricités vestimentaires et de son attitude aux connotations sexuelles ambiguës, David Bowie apparaît au fil de ses albums comme l'une des personnalités les plus originales, iconoclastes et avant-gardistes du rock.
L'apogée du folk-rock : une musique intime et réfléchie
Sur les traces de Bob Dylan, Tim Buckley et Scott Walker, Nick Drake (Pink Moon, 1972) ou Neil Young (Harvest, 1972) perpétuent une veine folk-rock caractérisée par une exigence accrue de textes signifiants ; l'héritage de la protest-song (chanson engagée) de la fin des années 1960 est à cet égard capital.
Entre musique et poésie, Leonard Cohen délivre, sur des arrangements minimalistes, une musique épurée au service de textes sombres et habités, tour à tour résignés, nostalgiques ou douloureux.
Les Américains Bruce Springsteen (Born To Run, 1975), Tom Petty (Tom Petty and the Heartbreakers, 1976), Jackson Browne (Late For the Sky, 1974), James Taylor (JT, 1977) ou Randy Newman (Good Old Boys, 1974) proposent quant à eux une description réaliste de l'Amérique - ses rêves et ses désillusions - à la fois ironique et désabusée. Qu'ils interprètent un rock brut ou une pop plus édulcorée et commerciale, ces artistes privilégient l'honnêteté et la « vérité » aux dépens de l'apparence (apanage des années 1980).
Le rock au féminin
Janis Joplin et Joan Baez figurent parmi les premières femmes « reconnues » par le monde essentiellement masculin du rock ; outre certains groupes vocaux américains des années 1950, dont la popularité ne récompensait pas encore les personnalités mais des entités, le rock n'avait en effet accordé, jusque-là, aux femmes qu'une place très réduite. Au cours des années 1970 cependant, des artistes tels que Carly Simon (No Secrets, 1972), Joni Mitchell (Court and Spark, 1974), Carole King (Really Rosie, 1975) ou Patti Smith (Horses, 1975) parviennent à faire entendre leur voix, obtiennent une légitimité artistique à laquelle elles ne pouvaient prétendre auparavant et accèdent ainsi à une notoriété significative.
Les « dinosaures » du rock
Le rock progressif
Poursuivant les expérimentations sonores et musicales inaugurées à la fin des années 1960, les Pink Floyd (Dark Side of the Moon, 1973), figure majeure du rock progressif (ou rock symphonique), étirent le format traditionnel des chansons rock, utilisent de nouveaux instruments (synthétiseurs principalement) et créent des atmosphères planantes et irréelles qu'ils retranscrivent fidèlement lors de gigantesques concerts.
De même, des artistes et des formations tels que Can - par ailleurs représentant du kraut rock allemand, à l'instar de Kraftwerkk, pionniers de la musique électronique ou Klaus Schulze -, Soft Machine (Third, 1970), Peter Gabriel et Genesis (The Lamb Lies Down on Broadway, 1974), Yes (Fragile, 1972), Robert Fripp et King Crimson (Lark's Tongue in Aspic, 1973), Brian Eno (Ambient 1: Music For Airports, 1978), John Cale (Paris 1919, 1973), Mike Oldfield (Tubular Bells, 1973), Supertramp (Crime of the Century, 1974), etc., partagent une même démarche visant à extirper le rock de son carcan formel et à le confronter à d'autres formes d'expression artistique - théâtre, danse, mime, etc.
La deuxième génération des groupes de hard rock
Le hard rock poursuit son développement dans les années 1970 : Aerosmith (Toys in the Attic, 1975), Kiss (Dressed To Kill, 1975), Van Halen (Van Halen, 1978), AC/DC (Highway To Hell, 1979), Judas Priest (Stained Class, 1978) ou encore Scorpions (In Trance, 1975) délaissent les bases musicales qui ont présidé à la naissance du genre une décennie auparavant au profit d'une mise en valeur d'éléments extra-musicaux spectaculaires (vêtements, maquillages, pochettes de disques, décors de concerts).
Ces formations de rock progressif et de hard rock, associées à d'autres groupes au talent reconnu - Queen, Rolling Stones, The Who notamment -, « s'installent » dans le paysage musical et jouissent d'une popularité grandissante acquise à la faveur de ventes de disques massives et de tournées attirant un public toujours plus nombreux. Toutes contribuent, parfois malgré elles, à une banalisation de l'esprit et du discours rock, qui apparaissent désormais plus empruntés et stéréotypés, moins sincères et ne participant plus d'une nécessité absolue de révolte.
L'explosion punk : violente secousse nécessaire salvatrice
« Anarchy in the UK » hurlent les Sex Pistols dans leur album Never Mind the Bollocks, Here's the Sex Pistols paru en 1977 : le punk est né, révolte totale, aussi intense que violente, contre l'ordre établi, qu'il soit politique, social ou culturel. Reposant sur une musique délibérément agressive et peu construite et sur une attitude provocatrice (vêtements, langage), le punk critique et remet tout en cause - pêle-mêle, le pouvoir des maisons de disques, la période disco, le rock progressif condamné pour sa prétention, la bourgeoisie, etc. -, crache littéralement son dégoût de la société et clame son pessimisme quant à un futur incertain : nofuture (« pas de futur ») est sa devise et destroy (« détruisons ! ») est son principal mot d'ordre.
En Angleterre, les Clash se montrent aussi percutants et dérangeants que les Sex Pistols, même si leur album London Calling (1979) délivre un message contestataire plus structuré.
Les Damned (Damned, 1977), Sham 69 (Tell Us the Truth, 1978) ou les Buzzcocks (Another Music in a Different Kitchen, 1978) jouent les rôles secondaires, tandis qu'aux États-Unis, sur les traces d' Iggy Pop, des New York Dolls (New York Dolls, 1973) et de, Patti Smith, Television (Marquee Moon, 1977), les Ramones (Rocket To Russia, 1977), les Talking Heads (Talking Heads: 77, 1977) ou encore les Dead Kennedys (Fresh Fruit For Rotting Vegetables, 1980) expriment également leur rage et leur frustration. Si la reformation très médiatique des Sex Pistols en 1995 a montré les limites d'une révolte de jeunesse sincère mais rapidement éclipsée par l'émergence de nouvelles aspirations, l'« esprit punk » perdure aujourd'hui encore par l'intermédiaire de musiciens iconoclastes évoluant le plus souvent dans l'ombre et réfractaires à tout système.